La mère supérieure

La Mère supérieure d’un couvent américain, d’origine irlandaise, a 98 ans. Elle est alitée et en train de mourir.

Les religieuses sont toutes réunies autour d’elle pour prier et pour l’entourer d’attentions dans ses derniers moments.On lui apporte un peu de lait chaud, mais la Mère supérieure refuse même d’y goûter.

Une des religieuses rapporte le verre de lait à la cuisine et se souvient subitement qu’à Noël dernier, un pieux donateur de leur couvent, connaissant l’origine de la Mère Supérieure, a offert une belle bouteille de whisky irlandais à la communauté.

La religieuse retrouve le flacon, l’ouvre et en verse plus qu’une généreuse rasade dans le lait en train de tiédir puis retourne auprès de la mourante.Elle pose le bord du verre sur ses lèvres et tâche de les lui humecter. La Mère Supérieure en boit quelques gouttes, puis une lampée, puis une autre, puis encore une autre, et finit par siffler tout le contenu du verre jusqu’à la dernière goutte.

Très chère Mère, demandent les religieuses affligées à leur Supérieure, voudriez-vous bien nous donner un dernier conseil avant de nous quitter?

La Supérieure se redresse sur son lit comme ressuscitée, son visage est illuminé par une joie qu’on dirait toute céleste, et elle leur répond:
– Ne vendez jamais cette vache!

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Bertolt Brecht L'homme est bon, mais le veau est meilleur.